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Paul souleva la machine à écrire et la secoua. Au bout d’un moment, une petite pièce métallique tomba sur la planche posée entre les bras du fauteuil roulant. Il la prit et la regarda.
C’était la barre du tT. La machine à écrire venait tout simplement de se débarrasser de son tT.
Il pensa : Je vais me plaindre à la direction. Je ne vais pas me contenter de demander une nouvelle machine à écrire, mais l’exiger, foutre Dieu. Elle a assez d’argent. Je sais qu’elle en a assez. Il est dans des pots à confitures planqués quelque part dans la grange, ou bien dans un trou du mur de son Rigoloir, mais cette salope d’écureuil a du pognon et le tT, bon Dieu, la deuxième lettre la plus courante en anglais !
Bien entendu, non seulement il n’exigerait rien d’Annie, mais il ne demanderait pas quoi que ce soit. Naguère, il y avait eu quelqu’un qui aurait au moins demandé. Un homme qui souffrait infiniment plus, un homme qui n’avait rien eu à quoi se raccrocher, pas même ce bouquin merdeux. Cet homme, lui, aurait demandé. Blessé ou pas, cet homme aurait eu assez de cran pour au moins essayer de tenir tête à Annie Wilkes.
Il avait été cet homme, et il se dit qu’il aurait dû avoir honte ; mais cet homme jouissait de deux grands avantages sur lui : il avait été en possession de ses deux pieds… et de ses deux pouces.
Paul resta immobile, pensif, pendant quelques instants, relut les dernières lignes (en remplissant mentalement les lettres manquantes) et se remit simplement au travail.
Cela valait mieux ainsi.
Valait mieux ne rien demander.
Valait mieux ne pas provoquer.
À sa fenêtre, des abeilles bourdonnaient.
On était au premier jour de l’été.